Les bandes-annonces, objet d’un désir parfois vénéneux entre effeuillage et travestissement

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Les bandes-annonces sont définitivement des objets cinématographiques fascinants. S’il s’agit moins de jeu vidéo que d’une vision de réalisateur concentrée dans quelques minutes de vidéo tout au plus, il s’agit également d’un écrin publicitaire qui jongle entre dévoilement pudique (du moins dans un premier temps) et démonstration de force.

par LC et Skypirate

cristal4.png 1. Fascination

Déterminantes dans leur propension à capter le désir, elles permettent aussi de combler l’attente quitte à viscéralement desservir le produit fini. Surtout quand elles prennent une forme hybride et s’agrémentent très prématurément de phases de gameplay, ou plutôt de target-renders, qui sonnent comme des promesses intenables. Le pouvoir évocateur de ces vidéos permet aux images d’exister en dehors de leur contexte et de cristalliser le projet sous une forme tangible mais elles présentent aussi un réel danger quand la vision créative se laisse emporter par la seule démonstration visuelle et/ou publicitaire.

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D'un jeu à l'autre, d'un médium à l'autre… Une séquence dévoilée pour FFVersusXIII aura finalement trouvé sa place dans FFXV, et plus précisément dans le film qui sert d'introduction. La scène a gardé ses qualités artistiques et probablement sa valeur narrative, à l'instar d'autres morceaux recollés dans ce nouvel univers, mais nous ne pouvons pourtant pas en dire autant pour chaque clin d’œil.

Square Enix est particulièrement coutumier de l’exercice même s’il n’est évidemment pas le seul. Si l’éditeur-développeur a réussi nombre de coups de force ciné-publicitaires par le passé, on observe un grand nombre d’échos négatifs quasi systématiquement alors que la série Final Fantasy, exemple le plus évocateur, se développe et perd de son attractivité aux yeux des néophytes. Certains écueils auraient pu être évités, à l’instar de révélations scénaristiques trop généreuses. L’attractivité la plus belle résidant dans la concision et le mystère, si tout est dévoilé (ou du moins aisément reconstituable), une partie du cœur de cible pâtit mécaniquement de cette méthode. Le fan assidu qui attend les bandes-annonces, les dévore puis les savoure jusqu’à plus faim ne peut contenir l’envie d’en savoir toujours un peu plus… mais l’éditeur ne cherche pas tant à le combler intelligemment qu’à tenter d’attirer d’autres regards qui eux n’auront pas forcément besoin des mêmes données pour succomber. D’autres effets négatifs, eux, ne sont pas aussi prévisibles autant en avance quand l’annonce est faite : les projets changent, s’adaptent à toutes les réalités avec lesquelles il faut jouer, que ce soit des temps de production ou des réécritures pour corriger des axes.
La maîtrise de la communication de MGSV est intéressante en comparaison. Si elle n’a pas été non plus parfaite en dévoilant une énorme quantité d’informations, elle fut néanmoins moins racoleuse et dotée du désir de laisser les théories de fans proliférer là où FFXV (c’est à dire, en omettant Versus XIII) s’est embrouillé tout seul avec plusieurs réécritures opérées devant nos yeux alors que le projet était officiellement lancé sur de bons rails. Ainsi, si de nombreuses séquences (notamment cinématiques, notons) sont absentes du produit final, ce qui est toujours dommageable, la vision n’a pas changé et les théories pouvaient reposer sur des détails valides de bout en bout. L’excitation était légitime.

cristal4.png 2. Obstination

Si Square Enix semble vouloir se faire pardonner en menant un travail d’introspection public par le biais de ses figures les plus connues, rien ne semble vraiment changer malgré les postures de façade. Le dernier exemple le plus frappant reste évidemment les apparitions sporadiques du remake de Final Fantasy VII. Après un premier teaser rondement mené, l’éditeur ne résistait pas à l’envie de dévoiler un an plus tard une bande-annonce bourrée de target-renders avec en surimpression des interfaces de combat pour donner l’illusion d’un support tangible enfin sur des rails. On connaît évidemment la suite avec l’abandon de la sous-traitance puis le rapatriement du projet en interne pour une nouvelle période de silence et un reboot qui ne dit son nom que du bout des lèvres. Après le revers Versus XIII ou la refonte de Final Fantasy XIV, on pensait Square Enix suffisamment échaudé et même immunisé contre ces méthodes, mais les vieilles habitudes ont la peau dure. Une attraction irrésistible entre le public qui réclamait prématurément un support pour y développer son imaginaire, et des développeurs impatients de dévoiler leurs ambitions quand bien même le carnet des charges serait encore bien parcellaire, voilà un cocktail explosif.

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Vous pouvez probablement oublier une grande partie de ce que vous avez vu du remake, à en croire Tetsuya Nomura lui-même.

L’exercice délicat du trailer d’annonce répond à l’impérieux besoin de redéfinir d’un coup d’œil les paradigmes de la série dans le respect plus ou moins établi des bases. Le renouveau inhérent à l’idée qu’on se fait tous de Final Fantasy se traduit par un nécessaire dépaysement, mais toujours (sans que ce soit pour autant un gage de qualité) sous l’influence d’éléments iconiques avec plus ou moins de subtilité, de talent aussi.
La sublime audace de la série ne doit pas nous faire oublier pour autant les résistances érigées par les uns ou les autres, qui tout en se portant garants de son patrimoine, font le nid de l’immobilisme et gênent donc son évolution logique. L’annonce d’un nouvel épisode doit donc conjuguer avec de nombreux facteurs, qu’ils soient une preuve tangible de vision et de sa réalisation, ou une garantie que tout sera différent… et un peu comme avant quand même. La tâche est ardue, mais pas impossible.

cristal4.png 3. Rédemption

La première bande-annonce de Final Fantasy XIII est à cet égard particulièrement troublante tant la couleur du jeu est déjà très pensée alors que les bribes du système de combat se parent d’un habillage fantasque, mais naturellement de circonstance pour mieux exprimer une intention aussi prématurée. On y entrevoit le désir d’une action plus limpide, aérienne, mais ciselée dans un écrin à base de commandes. Ce ne sont pas tant les acrobaties de Lightning qui comptent que les promesse d’une technologie au service du fond. L’hommage fait au sein du jeu final à ce trailer d’annonce est un joli pied de nez à ceux qui y pourraient y voir une forme de renoncement alors qu’ils ont entre leurs mains la synthèse, pleine d’arrangements et forcément déviante sur bien des aspects, de la promesse livrée en 2006.

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De la vidéo d'intention en précalculé au rendu en jeu, un exemple parmi quelques-uns qui montre que les développeurs avaient une idée précise de ce que serait FFXIII, malgré des errements techniques.

La qualité d’une bande-annonce ne saurait finalement s’apprécier qu’à l’aune de l’ultime compromis. C’est la rencontre entre une promesse et des choix de raison, c’est la confrontation d’un imaginaire naviguant entre plusieurs écueils, celui d’espoirs contrariés, et le ravissement d’arriver au bout du chemin. L’alchimie véritable supporte mal la supercherie, mais s’arrange heureusement des obstacles qui émaillent le cycle naturel d’un développement. Tout est mesure : mesure de la vision, mesure des capacités à la concrétiser, et mesure de l’impact produit.

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Un joli moment qui interroge le fan quant à sa pertinence dans la nouvelle vision du projet.

cristal4.png 4. (la) Traduction (par l’exemple)

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Nous souhaitons aussi, à l’occasion de ce billet, mettre en valeur ce travail qui montre à l’envers la problématique, la démontre et la démonte pour le meilleur et pour le pire.

Cursor2.png L’auteur a réalisé un travail très consciencieux, hypnotisant dans son pouvoir de suggestion sans pourtant s’égarer dans le mimétisme facile (admettons que ce serait de toute façon impossible). On se rend finalement compte de l’incroyable pouvoir d’attraction de la bande-annonce originale quand on se surprend à associer chacun des plans à une image, à un symbole, à une émotion… à une seconde ! On s’amuse aussi d’y croire et de voir dans ces moments de gameplay, pour le coup parfaitement honnêtes bien que là aussi mis en scène pour leur donner plus d’impact (la séquence de combat avant Léviathan n’est pas aussi palpitante et est même à vrai dire optionnelle), de vrais instants de bravoure. Comme vu plus haut, ce n’est finalement pas tant la séquence ou l’image qui comptent, mais bien le montage et sa capacité à nous embarquer dans un imaginaire. L’objet du désir réside dans l’ombre de l’image elle-même, dans la perception qu’on s’en fait, dans un rapport très subjectif en bref. Il n’y a de bon ou de mauvais dans ces méthodes et leur impact, là aussi, que selon l’opinion qu’on en a.